La Castille au centre de l'Espagne
Située à l'intérieur de la péninsule Ibérique, la castille est, en fait, le cœur géographique de l’Espagne. Haut plateau s’abaissant légèrement vers le Portugal., elle est traversé en son milieu par la Sierra de Guadarrama qui sépare la vieille-castille de la Nouvelle-Castille. Presque tous les grands fleuves espagnols arrosent l’une des deux castilles : L’Ebre au nord, le seul à se jeter dans la méditerranéen ; plus au sud, le Douro qui coule en direction du Portugal, et parallèlement à lui, au cours également orienté vers l’ouest, le Tage ; plus au sud encore, le Guadiana. La vallée de Guadalquivir suit, elle aussi, la direction de deux derniers, mais bien plus bas. Le bassin versant de ce grand fleuve andalou ne se trouve plus Castille, mais en Andalousie, région totalement différente de la première.La castille est formée de vastes plaines. On y trouve d’immenses champs de blé légèrement ondulé, sans un arbre. Les sillons des surfaces agricoles donnent une note caractéristique au paysage. Où l’irrigation est possible, on cultive aujourd’hui la betterave sucrière et le tournesol. Des forêts de pins s’entendent parfois sur les collines et au pied des monts de Guadarrama. Souvent, l’écorce des arbres présentent des entailles destinées à l’extraction de la résine. Des troupeaux des moutons s’acheminent vers les hauteurs où on les conduit en été; en hiver ils pâtureront les chaumes.
La population est clairsemée dans cette région pourtant habitée depuis très longtemps. Les petites villes, caractéristiques par leurs châteaux et leurs cathédrales, leurs bastilles et leurs enceintes, se dépeuplent en partie aujourd’hui au profit de Madrid, de Barcelone et de l’étranger. On n’assure qu’avec peine sa subsistance sur les vastes étendues sèches et pierreuses du haut plateau. A la neige et aux vents glacials de l’hiver succède, sans transition presque, un été ardent. Les champs, verts pendant quelques semaines seulement, jaunissent rapidement sous le soleil rayonnant et gardent une teinte gris fauve jusqu’à ce que la neige les revête de blanc. On fait les semailles dès la fonte des neiges aux premiers jours de printemps, et le blé est mûr quand commence l’été suivent alors le long mois de canicule où seul le chant de grillons rompt le silence. Il n’a y pas grand-chose à faire. Quelques bergers suffisent pour garder les troupeaux comptant des centaines des moutons. On attend, des mois durant, le moment des labours. Puis vient l’interminable période de l’hiver aux journées oisives.
Toutes les villes de la castille sont d’intérêt historique, riches en témoins d’un passé glorieux : enceintes encore intactes à ce jour comme celles d’Avila, palais Renaissance et baroques comme a Soria, cathédrale gothiques comme à Burgos, alcazars comme à Segovia, châteaux forts tels que la puissante bastille féodale de Medina Del Campo, et partout, des façades ornementés dans le style nervuré, ajouré, du gothique flamboyant, plus somptueuses qu’ailleurs encore à Valladolid et à Salamanque. Eglise romanes, portes d’enceintes médiévales, hôtels de villes et places à arcades, palais aristocratiques, ponts de pierres, monastères bourrés d’œuvres d’art issues de divers siècles- les trésors ne se comptent pas.
Même les petits bourgs aux noms mélodieux, que l’on ne repère qu’à grand-peine sur la carte - Aré- valo, Madrigal de las Altas Torres, Tordesillas, Coca, Turégano, Sepúlveda, Riaza, Covarrubias, Barbadillo del Mercado, Santo Domingo de Silos - méritent un court séjour. Une brève halte au cours du trajet en voiture ne suffit pas si l’on veut éviter de confondre plus tard leurs monuments. Veut-on en graver l’image dans sa mémoire, on passera la nuit dans 1’une de leurs auberges et l’on prendra son temps pour jouir de la force silencieuse qui émane de ces murailles restées immuables à travers les siècles.
Le nom de Castille est dérivé de castilla (château fortifié en latin vulgaire). Les vastes plaines qui forment le cœur de l’Espagne sont un véritable pays de châteaux forts, marqué par l’histoire du haut Moyen Age espagnol. C’est alors, dans le sud et l’est de la Péninsule, l’époque de la domination arabe. La civilisation des occupants, infiniment riche, puissante, est largement supérieure à celle des asservis sur le plan des moyens, du savoir, des procédés artisanaux, des relations commerciales, de l’équipement militaire et des techniques de guerre. Cordoue, en Andalousie, est déjà, avec plus d’un demi-million d’habitants, une métropole alors qu’aux confins septentrionaux de la Castille il n’y a guère de villes encore. Les Espagnols chrétiens sont devenus les sujets des musulmans ou se sont réfugiés dans les montagnes et les vallées bordant le nord de l’Espagne. La Castille devient le théâtre des combats. La plaine est difficile à défendre. La «Reconquête» - la Reconquista - par les chrétiens se fait par étapes, d’un fleuve à l’autre. Le Douro marque la frontera, la frontière entre les deux civilisations vers l’an 1000. Cette démarcation atteint Tolède et le Tage 85 ans plus tard, mais s’arrête là, car la contre-attaque des Almoravides venus du Maroc, suivie d’une nouvelle vague de combattants almohades, retarde l’avance des chrétiens pendant un siècle.
L’Andalousie avec Cordoue et Séville ne tombe aux mains des rois castillans qu’au XIIIe siècle (Cordoue en 1236, Séville en 1248). Les châteaux forts et les fleuves de la Castille, ainsi que sa ceinture montagneuse formée par la sierra de Guadarrama et la sierra de Gredos, servent à couvrir les différentes étapes de la Reconquête qui progresse lentement, pendant des siècles, dans la plaine centrale en direction de l’Andalousie.
Le Cid, héros national espagnol, est le symbole de cette Reconquête castillane. L’épopée qui le glorifie, le Poème du Cid (Cantar de mio Cid) se place, comme la Chanson de Roland en France ou la «Nibelungenlied» en Allemagne, au début de la littérature en Espagne. Elle se distingue par une grandiose simplicité et traduit l’expérience de véritables guerriers en action au front, sans tomber dans les élans d’imagination rejoignant le mythe des auteurs de poèmes épiques français et allemands. «Mio Cid, Rodrigo Díaz de Vivar» est le commandant en chef de l’armée de Sanche II, roi de Castille. Après l’assassinat du souverain en 1072, son frère Alphonse VI, exilé jusque-là, lui succède. Mais avant qu’il n’accède au trône, le Cid le force, à Santa Gadea del Cid, entre Burgos et Vitoria, non loin de Miranda de Ebro, à jurer qu’il est étranger au meurtre de Sanche. Or, le Cid tombe en disgrâce auprès de son nouveau maître à cause de ce serment prêté sous contrainte. Il part en exil avec un petit groupe de fidèles, et c’est par là que commence le poème épique. Rodrigue y apparaît en combattant toujours victorieux contre les Moros, les Maures, qui ont résisté à l’est, latéralement à l’axe principal de la Reconquête castillane, et dans les vallées descendant du haut plateau castillan dans la plaine côtière. On décrit les embuscades, les ruses de guerre, les attaques imprévues et les longues chevauchées à travers les terres desséchées du plateau et les vallées dont le sol irrigué produit des fruits et nourrit les populations des petites villes. Le Cid est un guérillero (guerrillero en espagnol), un franctireur, qui part en guerre de son propre chef. Après de nombreux combats, il prend finalement la grande ville côtière de Valence. Invitant son épouse à le rejoindre dans la ville conquise, il s’exclame dans le poème: «Douce Chimène, ô ma femme bien-aimée, vous que je vénère tant, et Vous, mes filles, que j’aime comme mon âme, entrez avec moi à Valence, dans le domaine héréditaire que j’ai conquis pour vous!» Les Maures le redoutent à tel point qu’il réussit l’exploit de les repousser plus tard, alors qu’il a déjà perdu la vie. Lorsque son cadavre revêtu de son armure, installé sur son bon cheval Babieca, est conduit sur les murs de la ville assiégée, les Maures prennent la fuite. Les Juifs et les Arabes jouent un rôle important dans l’épopée, mais aussi dans la réalité historique. Pour obtenir de l’argent, le Cid donne en gage à deux juifs de Barcelone deux coffres de cuir rouge cloutés d’or qu’il a préalablement fait remplir de sable. Après ses premiers succès guerriers, Rodrigue récompense généreusement les deux prêteurs. Les ennemis castillans du Cid et non les Arabes apparaissent comme les véritables malfaiteurs dans le poème épique. Deux jeunes nobles, les infants de Carrión, épousent les filles du héros parce qu’ils convoitent leurs richesses. Ils maltraitent leurs femmes en prétextant qu’elles sont issues d’une famille dont les titres de noblesse sont inférieurs aux leurs. Le Cid se venge en qualifiant ses gendres de traîtres et en les obligeant à se battre à la cour royale avec ses vassaux dans des duels où ils seront vaincus. Les Arabes, eux, donnent son nom au Cid, car ils l’appellent sidi (mon seigneur), terme encore en usage de nos jours en Afrique du Nord.
Quelques-uns des rois castillans de l’époque de la Reconquête sont ensevelis près de Burgos, dans le monastère de Las Huelgas. On a ouvert leurs sarcophages au XXe siècle pour en retirer les vêtements dans lesquels reposaient leurs ossements. Ces atours somptueux sont maintenant exposés dans le monastère. Il s’agit d’étoffes arabes et d’habits tels qu’on en porte encore à ce jour de l’autre côté du détroit de Gibraltar, au Maroc. Le roi, Pierre Ier d’Aragon et de Navarre, ami du Cid, avait coutume d’apposer sa signature en lettres arabes au bas des documents et des pièces officiel- les. Ces détails révèlent combien le style de vie arabe, plus évolué, et les éléments de la vie castillane, moins avancés mais en plein essor, s’étaient mélangés durant ces époques de razzias et de contre-razzias sur la ligne du front castillan.